Je n'étais qu'une ombre parmi les ombres. Je m'étais enveloppé d'une longue cape noire, aussi personne ne me voyait. Seul le claquement intermittent de mon vêtement trahissait ma présence. Le vent, cette nuit-là, courait les rues de Londres. Il sifflait à chaque coin, en une folle cavalcade. J'empruntais, quant à moi, les sombres allées, les ruelles attenantes. Des Moldus hurlaient dans quelques-unes d'entre elles, visiblement ivres. D'autres chuchotaient en s'échangeant des petits sacs odorants. D'un coup sec, je les envoyais valser de ma baguette parée, comme on écrase des mouches. Mon regard s'était durci, des cernes s'étalaient sous mes yeux. J'avançais d'un pas décidé et l'obscurité semblait me suivre. Ma bouche était crispée, je n'entendais plus à rire. La vie, depuis ma sortie de Poudlard, avait pris un brusque tour. Voilà une semaine que j'avais acquis mon appartement. Une semaine aussi qu'on avait signé mes fiançailles. Et maintenant, je volais presque dans les rues de la métropole, vers une autre épreuve. Bella devait m'attendre avec impatience. Elle avait pris un plaisir évident à me fixer une heure de rendez-vous si tardive. Elle savait peut-être aussi que j'évitais de passer au quartier général. Cet endroit me faisait froid dans le dos. Tout en lui était glauque, humide, suintant, effrayant. Je me disais que nous autres, Mangemorts, méritions mieux que cette place sordide. Un grand manoir, peut-être. Quelque chose qui refléterait notre prestige. Mais ce n'était pas à moi de prendre pareille décision. Je n'étais qu'un pion dans l'organisation. Bella, elle, était lieutenant. Recherchée aussi. Elle pesait lourd pour le Seigneur des Ténèbres. Elle tenait aussi le rôle de mentor. Mon mentor. Avec un frisson, je me demandai ce qu'elle m'enseignerait cette fois, bien en deçà de la lune brumeuse, dans ces profondeurs sinistres. Le pire était les rats, pensai-je. Les rats qui couinaient dans l'ombre sans qu'on les voit. Les rats qui raclaient les murs poisseux. Je frissonnai à nouveau et me hâtai dans un énième passage. J'avais depuis longtemps quitté le centre, où mon appartement était figure d'admiration. Je m'hasardais à présent dans les bas quartiers, ceux qu'on ne veut pas fréquenter. J'aurais pu venir en transplanant, mais c'était interdit. Un simple adepte comme moi n'en avait pas le droit. Donc je me cramponnais à ma baguette, une lueur quasi sauvage dans l'œil, mon cœur glacé se fermant à chaque pas. J'appréciais cette marche solitaire, elle me permettait d'expier toute peur. Et le vent soufflait sur les quelques braises de folie qu'on souhaitait me voir jouer. Le vent les avivait et j'étais toujours plus résolu à m'en tenir à ce qu'on désirait de moi. J'aperçus enfin l'entrée secrète. Aussi drapée de noir que ma propre silhouette, elle s'avérait parfaitement dissimulée. En un instant, je me glissais dans le dédale de tunnels visqueux. Les lumières mourantes s'éteignaient par à-coups. Nullement impressionné par ce théâtre d'horreurs, je m'enfonçai dans la terre, maintenant tout à fait certain de ma destinée. Je débouchai finalement sur la vaste pièce basse, semblable à une grotte. Des lueurs flottaient çà et là, sous une d'entre elles devait se tenir Bellatrix. Je n'eus pas à la chercher longtemps. Elle sortit de l'ombre, sa robe glissant sur la terre moite. Je ravalai ma salive, terrifié par sa grandeur comme à l'accoutumée. Sa magnificence n'avait point d'égale, de son maintien intimidant à ses yeux aux prunelles brillant de façon alarmante. Je fendis mon pâle visage d'un sourire mal assuré. «Bonjour cousine», dis-je dans un murmure rauque. Et mes paroles tombèrent en écho sur l'écrasante voûte rocheuse.

Tandis que Bellatrix parcourait les catacombes sombres de la capitale anglaise, elle laissait son esprit vagabonder à sa guise. Elle avait parcouru ces égouts de si nombreuses fois que le moindre recoin lui était familier. Elle en connaissait tous les chemins, tous les détours, tous les raccourcis. Mais nul besoin d'en utiliser un ce soir, elle était en avance, et quand elle s'en rendit compte, elle ralentit le pas. Elle avait toujours apprécié l’obscurité macabre de ce lieu humide, elle s'y sentait bien, en sécurité, ainsi, à ce rythme plus lent, un sourire satisfait se dessina sur son visage. Si elle l'avait voulu, elle aurait pu transplaner devant la porte, mais elle n'était en rien pressée ce soir, et elle n'aurait alors pas eu le loisir d'apprécier cette petite promenade nocturne et lugubre. Arrivée devant la-dite porte, Bellatix s'arrêta. Cette marque gravée, elle la portait aussi sur son bras droit. D'un geste lent, la fidèle mangemort effleura la porte tandis que les fins  contours de la marque s'ancraient en elle. Il n'y avait là pourtant aucune trace de magie, aucun sortilège, aucun maléfice, mais Bellatrix ressentait toujours cette sensation de pouvoir quand elle l'effleurait. De sa main droite, celle qui portait fièrement la marque, elle poussa la lourde porte. Le silence qui pesait dans la vaste grotte sinistre lui apprit qu'elle était seule. Bien, elle n'aurait ainsi à se débarrasser de personne. Épiant tout de même chaque recoin pour en être bien sûre, la mangemort avança lentement. Ici, il n'y avait plus aucune trace d'humidité, et chacun de ses pas résonnait sur le sol en pierre, troublant le silence sinistre qui y régnait.
Regulus n'allait probablement pas tarder. Il était très tard, Bellatrix le savait, mais elle savait la nuit propice à la magie qui allait être pratiquée ici ce soir. Non pas qu'on risquait de les entendre, enfouis comme ils étaient, mais la nuit cachait bien des mystères, et Bellatrix était bien décidée à utiliser l'obscurité à son avantage. La dernière fois qu'ils étaient venus ici tous les deux, des centaines de sorts Petrificus totalus avaient jasé dans la salle pendant au moins deux heures. Bien sûr, Regulus avait la maîtrise de ce sort, il savait le lancer. Mais, pendant ces deux heures éprouvantes, il a appris à le lancer en pleine action. La mangemort avait ainsi capturé quelques nés moldus trouvés dans les ruelles sombres de Londres, les avait amené ici, et leur avait lancé un puissant sortilège de confusion, ainsi ceux-ci furent habités par une folie violente et s'étaient mis à courir dans tous les sens, l'esprit désaxé. Elle avait alors appris à son apprenti à utiliser correctement ce sort sur une proie agitée et déchaînée, ce qui, elle en était certaine, pourrait lui être utile un jour. Elle avait terminé l’entraînement en le laissant s'attaquer directement à elle. La tâche ne lui fut pas facile, mais le jeune Black parvint enfin, au bout d'une bonne heure, à toucher sa mentor. Elle ne fut pas pétrifiée totalement, mais presque. Elle l'avait ainsi laisser partir, satisfaite de ses progrès.
Mais ce soir là, elle avait prévu tout autre chose. Il était temps de passer aux choses sérieuses. La trahison de Sirius Black avait sonné comme une infamie pour Bellatrix, et il était hors de question que Regulus suive le même chemin que son aîné. C'est donc la raison pour laquelle elle se chargeait de lui en personne. Il faisait partie de la noble famille des Black, et il se devait d'en être digne. Elle entendit enfin les pas du jeunes hommes, qui approchaient de la majestueuse porte. Une fois qu'il eut pénétré dans l'immense grotte, Bellatrix sortit de l'ombre. La tête haute, elle épiait son jeune cousin. « Bonjour cousine », dit-il d'une voix bien trop peu assurée à son goût. Elle s'avança vers lui  de sa noble démarche, scrutant chaque parcelle de son visage pâle. « Cher cousin, sois le bienvenue. » Elle se détourna de lui et retourna dans l'ombre. Elle avait hâte de commencer, sentant l'adrénaline monter en elle. Tapie dans l'ombre, elle reprit : « Bien, tu dois te demander ce que cela signifie. Ne perdons pas de temps, commençons. La dernière fois, nous nous sommes bien amusés, n'est-ce pas ? » Un rire malsain se fit entendre dans la grotte tandis que la mangemort se remémorait l'attitude des moldus qu'elle avait capturé. « Ce soir, j'attends bien plus de toi. » En guise d'explication, elle laissa s'échapper une arachnide de taille amplifiée, qu'elle fit s'arrêter non loin de son apprenti. « Tu sais ce que tu dois en faire, non ? », et comme Regulus ne répondait pas : « Torture-là, lance-lui le sortilège impardonnable. » Le regard fourbe, les yeux crépitant d'impatience, Bellatrix attendait.

Mon corps raide me faisait mal. Je sentais mes bras ballants, rigides, mes poings serrés, mes muscles guindés, mon cou inflexible, mes orteils écrasées, mon visage crispé. Mes cuisses bloquées, mes pieds tendus, ma bouche contractée, je ressentais cruellement chaque ligne de cet amas de chair et d'os qui était mien, chaque particule de peau pâle et de veines bouillantes. Il me semblait que de l'électricité me parcourait, brûlait mes poils, me donnait le frisson. Ou alors du feu, perfide, léchant avidement ma fibre, jusqu'à m'immoler sur place sans que jamais je n'aie bougé. Des images affreuses venaient à mon esprit en cette grotte ténébreuse, cette grotte qui suintait de façon insidieuse. Parfaitement immobile devant Bellatrix, je l'écoutais avec une sourde douleur. Il m'apparaissait que chacun de mes sens était relié aux siens et qu'elle s'amusait à les tirer comme des nerfs. Elle me mettait à vif, tout en ce moment était suspendu pour moi. Il ne restait plus que ces lèvres rouges, belliqueuses, ces yeux de chat, corrodant l'âme ou ces joues frétillantes, impatientes. Ses traits se fondaient à mon esprit, elle me transcendait. Sublimé, je tombais presque à ses pieds, trop faible pour lui résister. Ses paroles m'atteignaient comme des flèches, me perçaient de trous. Elles s'enroulaient autour de moi, me martelaient le crâne. Chaque minute me mettait à l'épreuve, à chaque instant je devais prouver ma valeur. Interdiction de défaillir. Regulus Black n'était pas un poids mort ou une mauviette, c'était un grand homme. Le montrer, voilà ce qu'on attendait de moi. Le raisonnement, implacable, prenait prise dans mon cerveau, attaquait mes neurones, les tordait, les rendait à l'évidence. Agir. Agiter la baguette. Il s'agissait de mon heure. L'idée, très simple : m'exécuter. Surtout, ne jamais me remettre en question, ne pas poser de doutes, ne pas réfléchir. Cette manière avait convenu la dernière fois. Je n'avais pas regardé leurs visages, leurs yeux fous, apeurés, la pisse coulant de leurs jambes ou leurs corps défaillants. Je n'avais pas entendu leurs hurlements stridents, leurs cris désespérés, leurs pleurs appelant pitié. Je m'étais guidé à la voix seule de Bellatrix, je l'avais laissé agir au travers de moi. Pareille technique m'avait bien servi, il n'avait fallu que prononcer un mot, mettre de la conviction dans le bras. Oublier, c'était le mot d'ordre. Les souvenirs des cauchemars abominables que j'avais fait la semaine suivante ne me regardaient plus. Revenu dans la grotte, ils devaient disparaître, évaporés, étouffés. Bella avait fait surgir une immense arachnide. L'instruction était claire. De sa voix suave, ensorcelante, elle venait de sceller mon destin. Torturer cette araignée grotesque, la faire souffrir par delà chacune de ses huit pattes entortillées, que ses innombrables yeux reflètent son agonie, que ses pinces se débattent vainement, que ses poils s'hérissent. Le Sortilège Doloris. Impardonnable. Pour toujours, ce geste devrait me suivre, à chaque instant de ma vie. Je crèverais en enfer en ayant commis l'irréparable. Je tremblais à présent. Mes yeux rivés aux siens, j'entrevoyais mon choix, mon obligation. Mes pupilles avaient grossi, mon regard s'exorbitant. Mes cernes ceignaient au-dessus de mes joues. J'affermis ma poigne sur l'aubépine de ma baguette. Je voyais que le bois était aussi torturé que je l'étais. Souffle court, je me plaçai devant la créature. Bellatrix s'était retirée, je la savais exaltée. Sa présence me marquait. Je pointai mon arme droit sur l'horreur qui me faisait face. La chose, paisible, étalait sa soie sur le sol, comme pour s'accoutumer à son nouvel environnement. Ne tremblant plus, l'inexplicable s'emparant enfin de moi, une lueur rougeoyante avivée dans mon œil, je prononçai le mot. Je ne le prononçai pas, je l'expulsai plutôt. Ce devait être un hurlement, pour moi il s'avérait en fait d'une plainte atroce. J'avais enfoncé le poignard dans la blessure, celle-ci giclait, sautait en ruisseau, dévalait en chute, toute libérée. C'était mon sang, je saignais du nez. Je perdais un morceau de moi-même, les gros caillots dégoûtants éclaboussaient mon visage. Je souffrais avec la bête, cette bête si paisible qui n'avait rien demandé et s'agitait maintenant comme une démente, à mes pieds. Elle cessa enfin de bouger et resta inerte, fers en l'air. L'écho de sa lamentation muette cassait encore mon corps, je tremblais à nouveau. Je relevai la tête, cherchant ma mentor. Le sang coulait de mon nez à gros bouillons, je ne savais expliquer cette réaction. J'eus le sentiment horrible que je n'avais pas répondu à ses attentes. J'avais fait preuve de faiblesse. Peinant à rester debout, je patientai, cœur serré, que l'orage se déchaîne.